Bienvenu en Enfer - Scylla

Tout ton corps flotte. Sensation presque étrange d'un bien être lointain. Tu perçois des rires. Des rires d'enfants. La tête sous l'eau du Tigre, tu ressens de petits picotis du soleil sur les gouttes d'eau. Tu sais que toi et tes copains ne devriez pas être dans cette zone. Mais si ton Père a raison et qu'Allah existe bien, alors tu es presque sûr que c'est ici que tu arrives à sentir le mieux sa présence. Emporté par une soudaine transe, tout tourne autour de toi. Tu coules...Tout est flou. La terreur te saisit.

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Karim crie en se prenant un bout de quelque chose de tranchant en se relevant. Quelque chose ne va pas. Qui est-il ? Ah, oui. Karim Foster. Ses yeux s'ouvrent sur l'obscurité, et il sent qu'il est dans l'eau et qu'il...coule ? La capsule. Sous l'eau. Bloqué. Molok est mort, le crâne explosé. Le garde qui a essayé de le tuer a eu les membres sectionnés, et ses avant-bras sont encore accrochés à lui.

L'eau est passée par les micro fuites du pare-brise et a empli presque toute la bulle de pilotage. Le survivant des quartiers de Bagdad pousse de toutes les maigres forces dont tu disposes. Rien. Dans une dernier effort il tend le bras en se tordant en tout sens et parvient à saisir le pistolet, tirant deux balles sur la vitre. Le pare-brise cède enfin. Mais le harnais est bloqué. Goût de sang. Est-ce que ce sont des bouts de cervelles qu'il a sur la figure ?

Utilisant son dégoût et sa rage, il inspire à fond puis tire sur le harnais qui cède alors que la capsule tombe, aspirée par ce qui semble être un Océan ou une Mer. Remonter !

Le corps empli d'air, il se guide au jugé, priant tandis qu'il nage tant bien que mal pour que ce soit bien vers la surface qu'il se dirige.

Après une dizaine de mètres, le corps s'affole, réclamant son oxygène. Quelques mètres de plus et il expulse malgré lui ce qu'il reste de son air dans un jet de bulle. Malgré l'affolement et le désespoir, il continue à nager comme un métronome. Trop de ses anciens collègues sont morts à cause de l'affolement.

Contre toute attente, une tête émerge de la surface dans un cri d'aspiration désespéré. Rester conscient. Toujours rester conscient. Il fait le point sur son état. Jambe lacérée et sûrement pas mal de fractures des côtes. Peut-être une perforation des poumons, ce qui expliquerait sa difficulté à respirer, à moins que ce ne soit juste la remontée. Ses tempes battent la chamade et ses oreilles sifflent, et les sons semblent assourdis. Un peu de sang dans l'oreille. Il était remonté trop vite.

Malgré tout, il était en vie, ce qui était en soi un miracle. Mais malgré cela, son entraînement reprend le dessus. Respirer. Repérer. Rejoindre. Il respire. Mais où etait-il ?

La morsure du sel sur ses plaies du visage lui demande un gros effort pour ouvrir complètement les yeux. Les étoiles. Il lève la tête pour se repérer. Puis il regarde autour pour voir si une côte ou un bateau sont à proximité.

Pas de bateau pour le moment. Mais une côte à un ou deux kilomètres. Une côte qu'on ne peut que reconnaître. Le coeur de Karim se serre. La Ruche.

Sur tous les endroits où il aurait pu se crasher, il avait fallu que ce soit ici. La boucle était bouclée.

Eko City. Anciennement Lagos, devenue la plus grande mégalopole africaine moderne. Eko City. Le lieu de nombreux crimes. Mais surtout celui d'un en particulier. Le crime qu'il avait commis...

Alors qu'il essaie de trouver un moyen de rejoindre la côte en s'agrippant à ce qui semble être un bout d'un des squats flottants qui avait dû couler au large, il prend conscience de deux choses en simultané : il distingue au loin le bruit d'un hélicoptère. Et dans le même temps, il lui semble voir un aileron à quelques dizaine de mètres...

La douceur ouatée de l’inconscience est brisée par un éveil en plein cauchemar. Le bonbon sucré des souvenirs infantiles prend brutalement le goût âcre du sang lorsque j’ouvre les yeux sur ma réalité du moment. Mes compagnons d’infortune n’ont pas eu la même chance (ou malchance) que moi. Impossible de me souvenir à quel moment mon cerveau s’est déconnecté : l’explosion des missiles, l’entrée dans l’atmosphère ou… le choc de l’atterrissage dans cet environnement liquide. Un océan ou une mer à considérer les effluves salines qui se sont emparées des derniers centimètres cubes d’air dans la cabine de pilotage.

Une peur rampante grimpe dans mes entrailles à l’idée de finir noyé après cette improbable fuite de la station pénitentiaire spatiale. Je n’ai plus le temps de penser à Molock  et au triste destin que je lui ai offert. Pas le temps d’offrir à ces deux victimes des excuses pour mes choix douteux. Je veux juste nourrir mes poumons d’oxygène. Inspirer à pleine narines.

Je me débats. Contre cette vitre fêlée qui ne veut pas se briser d’abord, contre ce harnais qui tente de m’attirer avec lui dans les profondeurs ensuite, contre cette destinée qui semble s’amuser à tracer un chemin de mort dans mon sillage enfin. La vitre cède. Je prends les dernières mesures d’oxygène disponibles dans la capsule de sauvetage avant d’en sortir pour la laisser disparaître dans les ténèbres sous-marines. Tombeau d’acier et d’eau pour deux hommes qui, une heure plus tôt, se trouvaient à des milliers de kilomètres de là.

Calme. Mouvements de natation lents et puissants.

Pom-Pom

Gérer l’utilisation de l’oxygène par mes muscles.

Pom-pom

Se concentrer sur son cycle cardiaque. Garder la régularité des mouvements qui me projettent vers ce que j’espère être la surface.

Pom-pom

Déglutir pour faire circuler l’oxygène entre ma bouche et mes poumons et donner l’illusion à mon corps de la respiration.

Pom-pom

Et si dans ce bleu labyrinthique je prenais la mauvaise direction ? Accélération cardiaque.

Pom-pom-pom-pom

Calme. Concentré. Régularité du mouvement.

Pom-pom

L’acide lactique commence à dévorer mes muscles. A faire mal.

Pom-pom-pom

Mes poumons me donnent maintenant l’impression de se recroqueviller sur eux-mêmes. Mon cerveau reptilien intime à ma conscience d’ouvrir la bouche pour trouver de l’air.

Pom-pom-pom-pom

Calme. Mouvements lents et réguliers. NON! Il me faut de l’air !!! J’étouffe !!!!

Pom-pom-pom-pom-pom-pom-pom

Conscience que je vais mourir ici! Noyé ! Je ne veux pas. Je ne veux pas mourir comme ça, ici, seul !!!!

Pom-pom-pom-pom-pom-pom-pom-pom-pom-pom

De l’air! De l’air!

WOUSH!

J’inspire enfin à plein poumons. Avalant goulûment l’air de la surface disponible à satiété. Libéré de ce poids insupportable qui pesait sur mon thorax. Je tousse, crache, trop désireux d’emplir mon corps de la précieuse substance gazeuse. Trop vite. Trop ivre du soulagement ressenti par mon corps.

Il me faut plus d’une minute pour retrouver un semblant de conscience de ma situation. Rien à quoi se raccrocher, mais une côte à l’horizon. Il faut que je passe plusieurs fois ma main sur mes yeux pour en chasser une partie du sel qui les brûle et réussir à faire le point. Ce que je regrette immédiatement. Eko city. Je pourrais reconnaître cette ville pourrie même avec du silicone dans les pupilles. Je regrette à présent de m’être éveillé un peu plus tôt dans la cabine. Le sort de Molock me paraît à présent presque plus enviable.

Si le Dieu de mon père existe, il a de bien curieuses manières de faire expier leurs crimes à ses créations.

Mû par cette pensée, le corps perclus de douleurs, j’entame des brasses en direction de la côte. Par chance, la mer n’est pas déchaînée. Je l’entends alors, le vombrissement d’un rotor d’hélicoptère. Deux hypothèses naissent immédiatement dans mon esprit. Ou les dirigeants de Léthé veulent rapidement récupérer leur capsule de sauvetage et ses occupants, ou mon mystérieux guide vient cueillir les fruits de son labeur. Dans tous les cas, aucune de ces deux options ne me semble satisfaisantes. Marre d’être une putain de souris de laboratoire avec qui on s’amuse avant de la donner au chat.

En l’occurrence, le chat se pointe sous la forme d’un aileron dont les dimensions sont un indicateur très clair de la dimension du propriétaire qui fraye les eaux en dessous. Brusque envie de nager aussi vite que je peux vers la côte.

Calme.

Je ne serai jamais aussi rapide que ce squale. Sois rationnel. Limite le bruit et les mouvements.

D’un rétropédalage lent, je me maintiens à la surface pour surveiller les mouvements du prédateur marin. Mes mains parcourent ma combinaison en quête d’un ustensile. Ces dernières se posent miraculeusement sur la matraque le long de ma jambe gauche. Par réflexes, j’avais dû la ramasser avant de monter dans la capsule de sauvetage et la glisser dans ma ceinture. Excellente nouvelle, mais sera-t-elle suffisante ? j’en doute. Je la prends en main. Toujours mieux que rien. Je recense mes options. Le vague souvenir d’un holo-documentaire sur les squales me remonte en mémoire. Les récepteur sur le nez du requin sont particulièrement sensibles. Peut-être que si j’arrive à abattre ma matraque avec suffisamment de force à cet endroit, je parviendrais à le chasser. Sinon, essayer de crever l’un de ses yeux. Mais je suis quasiment sûr à présent de ne plus avoir les forces nécessaires à un tel acte.

Immobile autant que je le peux pour me maintenir à la surface, je guette le prédateur. Il y a au moins une consolante, les eaux sont ici suffisamment chaudes pour ne pas que je risque l’hypothermie. Quoique à choisir entre l’hypothermie et l’estomac d’un requin, la question mérite d’être posée…

Presque immobile dans l'eau tel un chasseur à l'affût, tu serres ta matraque comme une bouée. Tu repères sur le côté une planche pourrie, sûrement un reste d'une des venises de la lagune. T'y agrippant autant que possible, tu fais le compte de tes blessures. Des griffures et lacérations sur les jambes et la poitrine, de nombreuses côtes cassées, sûrement une perforation du poumon, et un tympan qui n'a pas apprécié la remontée trop rapide. Rejetant la douleur, tu observes l'aileron s'approcher inexorablement en effectuant une courbe. Quelques fractions de seconde à la faveur de la pleine lune tu aperçois des tâches presque rayées dessus. Un requin tigre. Mauvaise nouvelle, celui-ci mange n'importe quoi, y compris les humains. Et au vu de sa trajectoire, tu déduis qu'il a dû sentir ton sang qui coule au travers de lacérations piquées par le sel.

Tu te tiens prêt à agir, lorsque tu aperçois le projecteur de ce qui est bien un Hélicoptère presque rouillé taggé d'un serpent stylisé à la mode africaine.

Ou tes ennemis (ou alliés) ont engagé des charognards des côtes, soit ces réputés "C--Ejo" (serpents de la mer en "patois" Street pigdin, la langue de la rue actuelle) sont là pour la capsule, ce qui reste possible étant donné leurs habitudes de pillards côtiers nocturnes. Le projecteur balaie la mer, confirmant en tout cas la théorie qu'il cherche ton transport maintenant sous-marin. Ou c'est toi qu'ils cherchent.

Tandis qu'ils s'approchent, tu entrevoir voir l'aileron hésiter face aux remous provoqués par l'Hélicoptère qui rase presque l'eau. Finalement, il décide de s'éloigner, mais trop tard. Tu entends des coups de feu partir de l'Hélico. Armes automatiques. Pas des gens très entraînés, vu le carnage sur la bête qui explose presque en morceaux sous l'effet de balles expansives. Tu entends des cris et des rires. Visiblement pas très disciplinés non plus.

Derrière l'hélicoptère tu aperçois alors une forme au loin. Tu dirais que c'est un bateau, et il arrive à vive allure.

Ta réflexion est coupée par le projecteur qui se dirige vers toi...

Aussi immobile que je le puis pour me maintenir à la surface, j’observe mon ennemi aquatique entamer ses cercles autour de sa proie. Moi. Le rapide inventaire de mes fonctions vitales me semblent assez parlant : je n’ai aucune chance. Requin-tigre, omnivore et sans crainte vis-à-vis des hommes, je pouvais pas mieux tomber. Quelle ironie de finir dans l’estomac d’un squale après avoir échappé à l’enfer de Léthé. J’aurais peut-être dû rester avec mes compagnons dans leur cercueil maritime.

Le rythme régulier des pales de l’hélicoptère est désormais tout proche et se matérialise par des vagues un peu plus agitées sur cette mer d’huile. J’adresse un regard rapide vers ce nouvel arrivant, pour ne pas perdre de vue le squale. Suffisant pour en catégoriser les occupants. Des « C-ejo ». Les charognards de la côte. Ils ont suffisamment de radars et détecteurs dans leurs camps de base pour avoir localisé la chute de la capsule et rappliquer aussitôt. Ou alors ils sont en service commandé. Dans tous les cas ça ne sent pas bon.

A leur crédit, ils dézinguent le squale en m’offrant ainsi un répit supplémentaire. A croire que parmi les étoiles qui tapissent le ciel nocturne, une a choisi de veiller sur moi. Je ne suis pas sorti d’affaires pour autant, c’est troquer un adversaire pour un autre. C’est un peu l’histoire de ces dernières heures, jours ? Je perds le sens du temps.

L’œil jaune du projecteur des C-ejo balaie à présent la zone. Et se dirige droit vers moi… ou vers l’emplacement où la capsule s’est enfoncée vers les abîmes maritimes. A priori, ils vont se mettre en vol stationnaire et envoyer un ou deux plongeurs vu comme ils viennent de dézinguer le requin-tigre.

Le bruit d’un moteur de bateau se répercute dans les eaux, mais je n’ai pas le temps d’attendre pour en savoir plus.

J’inspire à plein poumons malgré la douleur que cela m’occasionne et replonge sous les eaux pour échapper à leur vue. Un mètre sous la surface, j’attends de voir où leur hélicoptère va se mettre en vol stationnaire, puis nage aussi vite que possible pour réapparaitre pile en dessous, échappant ainsi à la vue de ses occupants. Avec un peu de chance, lorsque les plongeurs vont aller à l’eau, je profiterai de cette distraction pour me hisser sur l’arrière du patin opposé et m’y tenir accroupi.

Ensuite, et bien… Il faudra espérer que je puisse neutraliser l’un des occupants de l’hélicoptère avec ma matraque et me servir de son arme pour contraindre les autres à m’obéir.

Un plan complètement fou, mais il y a peu, je dirigeais une capsule de sauvetage spatiale au point de rencontre entre des missiles, alors…

La mort est une séductrice capricieuse. Elle vous courtise, vous amène dans ses bras avant de vous rejeter comme un amant qui ne la satisfait pas. Comme si elle détectait ce mince filet de volonté qui vous raccroche à la vie. Comme si ce dernier souffle la dégoûtait car il vous empêche de vous livrer pleinement à elle. Tant que celui-ci pulse en vous, votre dernière amante vous rejette. Telles sont les pensées qui m’agitent lorsque les sons de voix inconnues me parviennent puis la tête du vieux rasta apparaît devant mon regard trouble. Mon corps, lui, soupire après cette amante qui l’a rejeté pour le délivrer des souffrances qu’il endure. Mais, Inexorable, la flamme de la vie continue de brûler au sein de mon âme, incandescente. Je commence à percevoir pourquoi à travers le brouillard de cette noyade avortée.

Lagos. Là où le fil de ma vie s’est perdue. Là où je dois régler mes comptes.

Je me redresse, réprimant le cri de douleur qui veut s’échapper de mon corps meurtri. L’effort me permet au moins de voir quels sont mes quatre sauveurs. Ou nouveaux geôliers, c’est encore à déterminer. Un bon point néanmoins en faveur de la première hypothèse, mes mains et mes jambes ne sont pas entravées. Je grogne plus que je ne réponds un « Ca va » à l’attention du vieux Nigérian, même si cette réponse tient plus de la bravade que d’un sentiment réel.

J’adresse un hochement de tête en guise de remerciement muet à l’incendiaire naïade qui s’est apparemment mouillée pour me sortir des flots, avant de reposer la tête contre le bois du bateau. Epuisé après l’effort que je viens de fournir. Il me faut emplir d’air mes poumons à plusieurs reprises avant de pouvoir souffler la question qui m’anime depuis mon réveil :

- Okay, pas que je sois un ingrat, loin de là. Mais qu’est-ce qui motive une équipe de sauvetage de votre acabit à venir récupérer un naufragé dans mon genre ?

Pas des ferrailleurs, sinon ce n’est pas moi qui serait dans ce bateau mais la carcasse  de la capsule de sauvetage qui doit gire à présent dans les profondeurs de l’Atlantique. Trop organisé pour de vulgaires pirates. J’opterai bien pour une A-team de mon mystérieux guide lors de mon échappée de Léthée, mais à vrai dire je n’en ai pas la moindre idée. Et je ne suis de toute façon pas vraiment en état de m’en soucier. Quelle que soit la suite, elle ne pourra pas être pire que l’océan de douleur qu’est devenu mon corps.

« Fi yad Allah » me dis-je intérieurement.

La rouquine en débardeur et pantalon treï militaire noir trempés ne répond pas à ton hochement de tête qu'elle semble avoir remarqué du coin de son oeil vert. En lieu et place de réponse, elle se lève et se dirige d'un pas souple vers la banquette rouge en face de celle où tu es allongé. Accordant une seconde d'attention au bateau, tu déduis vite qu'il s'agit d'un Hors Bord "Cigarette", depuis longtemps en vogue auprès des nantis et des contrebandiers qui cherchent avant tout la rapidité avec ces nombreux moteurs et plus de place qu'il n'y paraît.

Le vieux élude ta question en tournant la tête vers la pilote, assise dans une des quatre places à l'avant de la cabine semi-ouverte :
- Mo, y a du mouvement ?

Ladite Mo, une noire à la dégaine tribale street regarde ses écrans et tourne ses locks à la coiffure complexe vers le vieux rasta :
- Rien. On dirait qu'on est tranquilles pour l'instant..., annonce-t-elle avec un accent que tu analyses maintenant clairement comme américain. Miami ?
- Na So ?...Reste en alerte, d'après ses renseignements, on devrait avoir de la visite...
- Okay Boss !

Le vieux se retourne vers toi et annonce finalement :
- ...A cause d'un fils de pute qui mène très bien sa barque à Lagos et qui a assez d'appuis et de fric pour nous engager...Mais tu lui poseras toi-même tes questions. Comme tu l'as dit, Fils, nous on est juste l'équipe de sauvetage.

- Si on l'sauve...Annonce la voix de la rousse qui a sorti une longue malette de derrière le siège qu'elle ouvre pour en sortir un fusil que tu ne mets qu'une seconde à reconnaître. Un Barrett Modèle 150 anti-char. Une arme surpuissante quelquefois chargée à l'uranium appauvri. Un long reflux de bile te remonte dans la gorge tandis que le cauchemar de ton passé défile à nouveau devant tes yeux. Aligner. Viser. Tirer. Tu es sorti de ta transe par la voix de la pilote au travers du bruit un peu assourdissant des moteurs qui sont maintenant à plein régime :
- T'es vraiment trop négative Red. Tout va bien s'passer, on est presque arrivés au point B, et on est presque dans les temps.
- Plan foireux..., rumines prolixement la rouquine tout en montant le fusil la clope au bec.
- Vas pas nous porter la poisse, la Légende...
- Ta gueule, pétasse métisse... finit par argumenter celle qui te semble clairement être la gâchette du groupe, et à sa façon de monter ce fusil, une mercenaire très bien entraînée.
- Wetin ?!...La face de la pilote se tourne avec un air outré sur le visage.

Le vieux tourne vaguement la tête :
- Et si vous la fermiez un peu toutes les deux. La récréation est finie. Concentrez-vous sur le job.

Puis enlevant ses lunettes rouges, il te fixe d'un regard noir tellement profond que tu te prends à être aspiré par ce trou noir :
- J'ai répondu à ta question, gamin. Maintenant c'est toi qui va répondre à la mienne : qui es tu ? Tu tombes du ciel dans une capsule et une tenue NBN, t'es visiblement encore en état de tenir debout, et t'essaies même de te taper tout un hélico de ferrailleurs. Je peux lire dans ton âme que tu as beaucoup de culpabilité, de rage et une vie de violence et de mensonges. J'ai beaucoup d'hypothèses, mais j'ai pas de réponse claire. Et notre employeur...On va dire que c''est pas l'gars le plus fiable que j'connaisse. Alors l'extraction NBN va sûrement pas tarder, et je pense pas que tu veuilles qu'on te livre à ces gars là...Mais si j'ai pas une réponse claire maintenant, on laisse tout tomber, parce que ça sent la merde comme ma grand-mère Adelola, et j'aime pas qu'on essaie de m'entuber...  

Encore un peu hébété par la douleur qui vrille ma chair, j’observe la conversation entre mes « sauveurs ». Un groupe habitué à travailler ensemble d’après la fluidité et la férocité de leurs échanges. Ce mélange caractéristique de chambrage et de professionnalisme typique d’un groupe de mercenaires aguerris. Etant moi-même un solitaire plus qu’un rouage d’unité, j’envie parfois la camaraderie inhérente à ce type de groupuscule.

Sans même m’en rendre compte, mon cerveau enregistre les informations : Mo la pilote, Red la tireur d’élite, le vieux en cerveau de la bande. Américains vraisemblablement. Avec suffisamment de réputation pour être engagés par un ponte qui savait que je me sortirais de Léthé… Donc probablement mon guide lors de mon échappée, ou du moins son commanditaire.

Quand le vieux décide de me cuisiner, je mets un temps à me détacher de son regard.

- Tu vas avoir ta Ansa, i’ll no make you vex Oga! Dis-je en levant mes deux mains en signe de docilité et aussi pour lui signifier que je comprends parfaitement le dialecte de son équipe. Ce dont je suis le premier surpris. Je suis l’agent Karim Foster, (curieux de constater que j’ai failli me présenter inconsciemment comme Matthew Dane !) matricule 277 89A, Division Traqueur. J’ai été condamné à 15 ans de réclusion criminelle pour le meurtre de Rebecca Hamilton, la femme du Maire de Lagos, dans l’exercice de mes fonctions le 14 février 2071.

Je ferme les yeux un court instant à l’évocation de ce douloureux souvenir.

- J’ai reçu une aide inconnue pour fuir de Léthé. Je ne sais pas ce que je fais ici, mais je doute qu’il s’agisse d’une coïncidence. Je dirai que le Maire de Las Gidis a sûrement estimé que ma condamnation était insuffisante et a cherché un moyen de prendre sa revanche de façon plus directe. Et vous êtes sans doute chargé de me ramener à lui en un seul morceau pour qu’il puisse lui-même me débiter en morceaux de bidoche.

Je me tais, une hypothèse comme une autre.

- Comme tu le constates donc, j’en sais pas beaucoup plus que toi, Oga.

L'adrénaline de ta mort et ta résurrection redescend, et tu es saisi d'un vertige. Ton corps est une plaie, et ton cerveau ne sait plus vraiment d'où viennent les douleurs. d'un seul coup tu te tiens la tête suite à un violent acouphène assorti d'un mal de tête carabiné. Tout devient un peu flou et les sons semblent étouffés, couverts par ce son insupportable qui te vrille le tympan.

Tu sens une main sur toi, et en levant la tête tu vois le visage du vieux qui tourne un air interrogateur vers le jeune africano asiate, que tu as du mal à entendre déclarer d'une voix étrangement monocorde, distante mais aux accents typiquement Lagossiens :
- Barotraumatisme de l'oreille moyenne de stade V pouvant déclencher acouphènes, hypoacousie et otorragies mineures... Entailles multiples sur les jambes et le torse, entorse de la cheville droite stade 2 sans complications, deux fractures costales sur les côtes 7 et 8 côté gauche sans atteinte des poumons ou autres lésions profondes. Injection par intraveineuse d'une solution de boost type 2 avec analgésiques et AINS. Ses chances de décés sont de 8% en cas d'hémorragie, qui n'a que 19% de chance de se produire pendant ce transport..Ces statistiques ne tiennent pas compte d'une course ou d'une nage forcée, d'un rapport sexuel trop violent, d'un accident de véhicule, d'une électrocution sur une ligne à haute tension, d'un saut en parachute de haute altitude ou d'une fusillade potentiellement mortelle ayant pour cause la vélocité des projectiles utilisés et la fragilité de certains organes vitaux du corps humain, notam...

- ...Calmes toi, Juju...Tout va bien. Il n'y aura aucune fusillade, et tout va bien se passer. Concentres toi sur ton patient et laisses nous nous occuper du reste, lui répond le vieux d'un accent lui aussi Lagossien prononcé sur un ton apaisant.
- Ah, oui...Mon patient, Papa Bam, mon patient..., dit-il en retournant à son Medkit et en continuant de te soigner en utilisant ce medkit de fortune.

Tu sens les antalgiques qui montent peu à peu dire bonjour à ton cerveau, bloquant un peu les stimulis de douleurs. L'acouphène et les maux de tête s'estompent eux aussi un peu, et c'est d'une voix claire que le vieil africain finit par te répondre au dessus du vacarme des moteurs :
- D'accord, Karim le traqueur matricule je-ne-sais-quoi. J'te crois, et j'ai entendu parlé de ton histoire..., dit-il avec un sourire malicieux et presque charmeur qui créé de petites rides autour de ses yeux. Il laisse une seconde de silence, puis reprend : "Alors voilà, gamin. C'est pas le Maire Taiwo ni la NBN qui nous a engagé, ça je l'sais. C'est Zeifel. Une sorte de légende dans le coin, un Hacker et un gros acteur de la scène rebelle de Lagos. Y a tout un tas de rumeurs qui courent sur lui, et j'ai ma petite idée sur qui il est. Mais apparemment toi t'as pas l'air de le connaître. C'est bizarre, mais hey...C'est la vie. Nous on nous a contacté y a une quinzaine de minutes...", "17 minutes", annonce Juju sur un ton neutre en t'enroulant les côtes dans une bande. Papa Bam lève les yeux au ciel : "...17 minutes...avec pour ordre de venir chercher quelqu'un de sûrement blessé à ces coordonnées, et de le ramener en vie au point de rendez-vous dans un entrepôt désaffecté à Ikeja. C'est tout c'qu'on sait, et c'est tout c'qu'on a besoin de savoir..." Dit-il en foudroyant du regard la pilote qui vous espionne ouvertement tout en pilotant et l'oeil vert curieux que balade la rouquine vers vous l'air de rien. Il revient vers toi :
- Fils, faut qu'on parle. T'es sacrément amoché. Pour tout te dire, je sais même pas comment tu respires encore. Et tel que j'vois les choses, je sais pas comment tu t'es échappé de cette prison de l'espace, mais si c'est ça qu'on a vu remplacer les étoiles y a pas cinq minutes, on va pas tarder à rencontrer les gars d'NBN venus te récupérer, que t'y sois pour quelque chose ou pas. Alors...Tu veux un remontant ? On a un Cocktail de combat...Ca va te filer un petit coup de fouet, par contre après tu risques de faire une petite crise cardiaque...Rien de grave mais je préfère te prévenir, même si je suppose que tu connais. Attention, je pousse pas à la consommation...Mais un flingue de plus ça serait pas de refus vu la situation, et il faut que tu puisses courir sinon on risque de crever au port...

Toute l'attention se porte sur toi alors que Juju, ton étrange medic de fortune te mets une perfusion non moins de fortune (mais stérile et propre) dans l'autre bras. La pilote semble curieuse de tout, et la rousse incendiaire qui aligne la mire de son fusil est plus discrète mais semble elle aussi vous écouter. Seul Juju a l'air totalement dans son monde qui se résume à ton corps et son équipement médical d'occasion qui tressaute au rythme de l'accélération du Hors Bord qui fonce visiblement vers les quais d'Apapa en semblant passer le long de la côte Ouest pour éviter soigneusement Victoria Island.

Dans la brume de douleur qui inonde mes synapses, je perds lentement pied avec la réalité alors que le jeune afro-asiatique semble réciter sa liste de course au père noël d’aspirant chirurgien. A moitié dans les vapes, un faible sourire se dessine sur mes lèvres lorsqu’il prend aussi le temps d’énumérer l’ensemble des causes possibles pour avancer l'heure de mon décès. Je lance faiblement en réponse «  je lève l’option rapport sexuel violent ».

Dans le cirage, j’essaie de prêter attention aux propos de papa Bam. Je sursaute et mon visage se ferme, non à cause des examens pratiqués par Juju, mais à l’évocation du Maire Taiwo qui me ramène au visage de sa femme et du destin que je lui ai imposé. Zeifel attire également mon attention sans pour autant que je puisse réellement y associer un souvenir concret. Peut-être est-ce simplement le fait que ce soit un Hacker de génie et que cela explique notre fuite délirante de Léthé. Dans un autre éclair fiévreux, le visage torturé de Moloch apparaît devant mes yeux ainsi que la promesse faite.

*A croire que je détruis tout ce qui m’approche…*

Petit à petit les analgésiques font pourtant effet et je retrouve un peu de lucidité. Suffisamment en tout cas pour être attentif à la fin de la tirade du leader de ce groupuscule de contrebandiers. Pas  besoin d’être complètement « Aware » pour comprendre de quoi le vieux veut parler. NBN va très vite chercher à récupérer la capsule et les éventuels rescapés pour masquer la fuite qui fusillera leur image de marque. Tout ça va finir méchamment avec des bastos qui explosent dans tous les sens.

Je m’adresse à Juju d’une voix faible mais résolue, sans la moindre trace de peur :

- Envoies ton cocktail explosif, doc. Et fais en sorte de garder ton défibrillateur en état de marche.

Puis je fixe le boss de cette équipée sauvage :

- J’espère que t’as un flingue qui sait faire de gros trous pour moi, Papa Bam… ?

A ta réponse, le vieux ne peut s'empêcher d'avoir un rire sec et rocailleux en te tapant l'épaule :
- Bon p'tit soldat. On va te trouver ça...Red ?

La rousse incendiaire lève un oeil vert à travers sa chevelure rousse d'une moue contrariée, comme une petite fille à qui on vient de demander de partager ses jouets. Enfin, si les petites filles avaient des regards vides de psychopathes. Elle jette un regard circulaire, puis saisit un sac à côté de la malette du fusil de sniper pour en sortir un LAPA FA 503 usé qu'elle te lance sans ambages. Tandis que tu attrapes le fusil d'assaut avec une douleur lancinante, tu le soupèses et ton entraînement te reviens instinctivement. Fusil d'assaut Brésilien, configuration bullpup, compensateur de recul intégré, chargeur de 30 coups en 5,56x45 OTAN, mode automatique ou rafale de trois. Sortant par réflexe le chargeur, tu t'aperçois que ce modèle a été modifié plusieurs fois. La crosse est plus lourde pour une meilleure compensation du recul des balles blindées et creuses de ce double chargeur avec sélecteur. La lunette de visée te laisse à penser que le mode coup par coup a été ajouté pour des tirs de "précision", malgré sa portée assez moyenne de 400 mètres. Ta conclusion mentale ne tarde pas : C'est un très bon flingue. Une arme équilibrée entre puissance de feu et cadence de tir, qu'on a amélioré pour en faire un fusil d'assaut assez bourrin pour faire de gros trous même dans les véhicules si nécessaire. Seul bémol : il a l'air vieux, et le ressort du chargeur claque lorsque tu le remets, te laissant penser que le mécanisme accuses un peu son âge, mais normalement rien de gênant.

La rousse ne te regarde pas mais lâche juste un :
- J'ai pas mieux, faudra faire avec...

Juju quant à lui finit de te coller le patch de ce que tu reconnais comme étant du TC 400, communément appelé "Amok". Un cocktail de combat de chez SK (Stein-Keiser) censé améliorer les compétences et la résistance des soldats, mais qui a été abandonné il y a quelques années à cause "d'effets secondaires indésirables" (la crise cardiaque n'ayant pas été très appréciée par les équipes tests des forces Chinoises). Tandis qu'il colle le patch froid sur ta jugulaire pour un effet plus rapide, tu sens déjà le produit agir. Une montée d'adrénaline et tes douleurs qui commencent à s'envoler comme si elles n'avaient jamais existé.

Tu sens que tes réflexes ont même dépassé tes réflexes naturels, l'équivalent chimique d'un nanobooster de réflexes, et tu commences à percevoir le monde différemment, de façon plus aigue, tandis que tes sens s'aiguisent.

C'est alors que tu les entends au travers des bruits de moteurs, avant même des les voir. Deux hélicoptères de combat noirs totalement anonymes équipés de rotors silencieux, de deux mitrailleuses et deux lance-roquettes. La signature des groupes mercenaires et assassins fortunés et souvent sponsorisés par des corporations.

Tu observes la scène au ralenti avec un temps d'avance sur presque tout le monde, sauf la mercenaire rousse, Red, qui se lève d'un coup et cours avec le Barrett à l'avant du Hors Bord, calant rapidement le bipied du Barrett dans l'incompréhension générale, sauf celui de la pilote qui crie :
- Merde, ils arrivent ! Ils sont camouflés au radar ces fils de putes !

Toujours au ralenti (considères que tu peux agir en même temps que la rouquine), la scène se déroule. Le vieux est lent. Aussi lent que Juju, qui totalement bloqué par l'annonce semble ne plus pouvoir bouger.

Le bateau dévie soudainement sa course, et tu comprends tout de suite pourquoi. Une roquette vient de partir, point flamboyant en approche. Le virage manque de vous faire chavirer à cette vitesse, mais la jeune afro américaine a su anticiper la trajectoire, la roquette explosant à quelques mètres :
- Putain, des roquettes !

La voix du vieux qui vient à peine de sortir un antique revolver plus pour lui tenir compagnie que par réelle utilité s'élève au-dessus des moteurs qui rugissent comme des Dragons :
- On s'calme ! On en a aussi, alors tires, et zig-zague ! Red, feu ! Karim, c'est l'moment d'nous démontrer que les Traqueurs d'élites c'est pas juste dans les Holosims !

Dans la foulée, il prend un Juju totalement tétanisé pour le mettre à l'abri sous le toit de l'habitacle de pilotage, et l'attache comme un enfant en lui annonçant d'une voix étrangement douce étant données les circonstances :
- Ca va aller...Calmes toi, tout va bien, gamin. On va se sortir de là...Tiens, comptes..., dit-il en enlevant un collier de perles noires de sa poitrine et en lui tenant. Le jeune africano-asiate regarde le collier, et ses doigts le saisissent comme un chapelet de prière boudhiste, passant chaque perle sous ses doigts.

En dehors de la bulle de Juju, le combat a commencé. Les mitrailleuses des hélicoptères commencent à cracher plus de plomb qu'un réservoir d'essence africain, mais pour l'instant "Mo" a l'air d'arriver à passer à travers les gouttes en fonçant en zig-zag comme une dératée sans arriver à lâcher ses roquettes, et votre course effrénée empêche Red d'arriver à aligner ses tirs pour l'instant.

- Mo, bordel, stabilises !
- Ben bien sûr, c'est tellement facile ! T'as qu'à venir prendre la barre si t'es si bonne, pétasse !

Je détaille les caractéristiques du flingue que me donne la rouquine : LAPA FA 503 modifié. Pas à la pointe du modernisme, mais du solide, encore plus avec le mode coup par coup. Le poids pourrait être un problème vu mon état, mais Juju vient me patcher pour que ce ne le soit plus. Je réponds un sibyllin : « Ca suffira » à Red. Ca pourrait paraître de la suffisance, mais l’arme en main, je sais que je n’aurais aucun mal à faire des trous avec.

Je cligne plusieurs fois des yeux lorsque mon environnement paraît plus détaillé, plus vivant sous l’effet du TC 400. L’effet arrive juste à temps car je perçois les bruit discret du rotor avant même que les hélicos des mercenaires n’apparaissent dans notre champs de vision. Alors que la tueuse se met en position, je saisis une sangle pour l’attacher au rebord de notre bateau et à ma jambe pour stabiliser ma position.

La première roquette nous manque de peu, mais c’est le signe que Mo connaît son taff. Un point utile dans notre situation.

Tout le monde s’agite autour de moi, donnant lieu à une scène cocasse entre le chef de la bande et son médic qui me semble bien fébrile. Les mercenaires déchaînent le feu sur notre embarcation. Je me félicite de m’être harnaché vu comment le navire tangue sous les courbes tendues que la pilote lui impose pour éviter la mitraille et les roquettes à répétition. Je ne réponds pas à l’invective du vieux rasta me concernant, et préfère faire jouer mes habitudes de Traqueur : observer la proie, identifier ses points faibles, frapper.

Le pilote de l’un des deux hélicoptères a des tendances de chien fou et ne protège pas sa propre zone pour donner plus d’angle à son tireur. D’une voix calme mais forte pour dominer le vacarme des moteurs et du tapage du bateau sur les flots, je crie à l’intention de Red :

- Hélicoptère à 11 heures – Le pilote.

L'idée est d'effectuer un tir de barrage pour que le pilote ouvre à Red une fenêtre de tir sur sa position dans l’hélicoptère. Mon arme est déjà réglée sur le mode automatique. Bien campé sur mes pieds j'écrase la gâchette pour donner à Red l’opportunité de descendre le pilote et d’en finir avec l’un de nos deux prédateurs.

Tu ne vois pas le signe de tête affirmatif de la rouquine allongée sur le devant du bateau, mais tu n'en a pas besoin, tu connais trop ce genre de profils. Dans les zig-zag chaotiques du bateau, ton doigt écrase la détente du LAPA qui crache une pluie de plomb fournie dans un vacarme presque couvert par le vrombissement de tous les moteurs et l'explosion d'une roquette dont la gerbe d'eau t'éclabousse totalement. Mais tu tiens bon et continue de tirer pour faire dévier le pilote.

Et ton sens tactique est encore une fois payant.

L'Hélicoptère encaisse les premières balles, mais finit par partir un peu sur la gauche, laissant une fenêtre de tir très courte à Red, qui ne la manque pas. Dans un ballet de mort totalement synchronisé, le Barrett crache une de ses énormes balles anti-blindage. La verrière cède et pour un peu tu pourrais voir la tête du pilote exploser. Et tu es bien placé pour savoir que ce fusil ne pardonne pas. Un autre souvenir de ton tir. Cela te parait tellement lointain.

L'Hélicoptère perd alors de l'altitude et part en vrille. Malheureusement, la trajectoire de Mo n'était elle pas totalement dans le rythme de votre mélodie du carnage, et l'engin hors de contrôle s'approche dangereusement de vous. Dans le même temps une roquette part de l'autre Hélico de combat. Mo hurle alors, presque hystérique :
- ACCROCHEZ VOUS !

Elle tire alors sur la manette des gaz et tourne le volant dans une manœuvre désespérée pour éviter la collision. Le bateau survire totalement sous l'effet de l'arrêt complet des gaz, provoquant un demi-tour en l'air qui fait craquer la coque renforcée du Hors Bord lorsque vous atterrissez. Une fraction de seconde tu te dis que vous allez exploser. C'est une manœuvre apparemment suicidaire. Tu vois l'hélicoptère dont les pales tournent vers votre coque, et la roquette qui arrive sur vous dans le même temps.

Tout se passe alors très vite, dans une impression totalement surréaliste. Calcul totalement fou ou miracle de la chance, le bateau se positionne sur le flanc pile au moment où les pales passent au-dessus de vous. Mais la suite de cette scène qui aurait dû vous laisser totalement déchiquetés est renversée par une donnée improbable : la roquette de l'autre hélico heurte la carcasse de plein fouet, qui est propulsée dans un timing improbable. Attaché au bateau, tu vois les pales ruisseler sur ton crâne, passant quelques centimètres au-dessus de la décapitation.

Le temps reprend son cours et l'hélico soulevé par la roquette vous passe juste au-dessus, se jetant violemment dans les profondeurs océaniques derrière vous tout en explosant. Mo elle n'a pas perdu une nanoseconde et a déjà ré-enclenché les gaz dans un mouvement du bateau qui fait de nouveau dangereusement craquer la coque. Les moteurs hurlent, au bord de la rupture. Mais vous êtes encore en vie. Pour l'instant.

Mo donne un coup de volant, passant en droite ligne du flanc de l'autre hélicoptère en s'époumonant comme si le pilote en face pouvait l'entendre :
- Esquives ça, enfoiré !

Elle lâche une roquette dans le même mouvement. Cette fille est une pilote réellement hors pair, et tu en as connu pas mal.

La Roquette rencontre sa cible sur le côté, heurtant le réservoir. L'hélicoptère de combat explose en gerbe jaune-orangée comme une autre étoile dans le ciel nocturne des côtes d'Eko City.

Repartant en droite ligne pour récupérer la trajectoire que tu supposes être votre destination dans les Docks, tu chancèle légèrement. Douleur sur le côté. Tu sens que ton cœur va s'arrêter. Tu es en train de faire une crise cardiaque. Ton corps se crispe. Tu tentes de résister, mais tu sais que tu as trop tiré sur la corde.

Tu sens tes jambes qui cèdent d'un coup et tu sens ta conscience tomber dans les limbes. Encore.

Décidément mourir est devenu une habitude. Mais tu as la sensation que cette fois c'est la bonne. Rebecca va enfin être vengée de son meurtrier. Ta vie défile brièvement, s'arrêtant sur son point focal. Le viseur. La tête de Rebecca qui explose. Ton cerveau qui explose avec le sien. Tu étais tellement sûr. Le sol sous tes pieds s'affaisse...

Bienvenu en Enfer.