Lagos Connexion #1 : Zeifel

Douleur. Tu t'éveilles encore dans un soupir. Tu es en vie. Encore.

Les souvenirs récents affluent. Ton réveil de ce que tu pensais être ta vie de flic. Ton court nouveau séjour dans la station orbitale prison. Ton échappée belle. Le visage mourant de Molok. La chute dans l'océan. La mission de sauvetage. Et maintenant quoi ?

Dans les brumes de ces réveils qui deviennent une habitude ces dernières vingt-quatre heures, tu hésites à ouvrir les yeux. Tu sens ton corps endolori, et une chaleur qui t'environne. Des odeurs te remontent au nez. Effluves aseptisées mélangées à un bouquet d'huile et d'essence. Ou est-ce du kérosène ?

Et tu sens autre chose. Tu es implanté. A nouveau. Tu peux le sentir en toi. Le système de nano-survie qui trifouille en toi pour te soigner. Souvenirs de ta vie d'avant, lorsque tu te sentais encore vivant.

Sursautant en entendant des tirs mais incapable de bouger trop vite, tu ouvres les yeux, anticipant cette lumière qui envahit ton champ de vision. La nano interface se met en route à plein régime, affichant son monde virtuel en surimpression sur ta rétine. Un hangar. Toujours des bruits de tirs, mais ils ont quelque chose d'étrange, d'irréels.

Tu tournes la tête dans ce qui est en fait une semi pénombre éclairée par la lumière crue d'une lampe médicale au-dessus de la table d'opération sur laquelle tu étais allongé. Tournant encore la tête un peu plus loin dans une douleur aigue au niveau de ton cou, tu micro scrute rapidement la pièce en tentant de te relever.

Pas de fenêtres. Une seule double porte blindée. Des numéros sur les murs en béton renforcé. C'est un hangar en sous-sol. Mais la partie derrière toi est différente. Tu te relèves avec peine, tes jambes flageollantes te portant avec difficulté. Cette partie du hangar derrière toi est agencée comme une pièce à vivre, et les tirs viennent de là. Divan troué, cartons de pizzas à moitié mangées, et une télé ultra def avec un jeu de tir qui tourne avec les enceintes qui crachent un son aux basses trop fortes.

Tu aperçois alors des bottes renforcées qui dépassent du haut du canapé. Suivant les pieds, tu distingues dans la lumière bleuté de l'écran une silhouette la tête en bas en train de s'activer sur une manette :
- Mais tu vas prendre tes balles, toi ?!

A côté de l'écran tu distingues les écrans où tournent des programmes en fond de tache. Des cartes, des logiciels de reconnaissance faciale et d'autres que tu ne peux pas voir d'ici. A côté, cinq "tours" informatiques. Tu connais ce matériel. des serveurs de type militaires.

Du coin de l’œil, ce qui semble être un jeune homme aux cheveux noirs mi-longs et au visage halé t'observe une seconde en parallèle de sa partie :
- Ah, on s'réveille, Karim ?...Moi c'est Zeifel. Mais ça tu le sais déjà. Vu que tu dois avoir pas mal de questions, sers toi un verre..., te dit-il distraitement en te montrant d'une main un mini-bar de l'autre côté dans la pénombre, ...Et poses-les. Ça nous occupera en attendant ton rendez-vous.

Des tirs. Des cris. Mais à part ça aucun signe de menace directe. Les issues sont réduites, et tu ne détectes aucune autre présence.

Un nouvel éveil. Un de plus, un moment de doute supplémentaire. Qui suis-je maintenant ? Karim. Oui, je suis Karim Foster.

J’essaie d’ouvrir les yeux pour confirmer les informations de mes autres sens, odeurs, sons, paroi froide de la table sur laquelle je suis allongé. Bruit de tirs qui me fait frémir. Trop de luminosité, incapacité à faire le point. Corps douloureux, brisé. Réminiscences d’une succession d’évènements bien trop violents dans un délai si court. Jusqu’à en avoir le cœur qui lâche.

J’arrive pourtant à me redresser. Très vite, je réalise que ce miracle n’est possible qu’à l’aide de la nano-technologie à l’œuvre dans chaque tissu endommagé de mon corps. C’est pourtant Matthew le dernier à avoir profiter de ce genre de services.

Je cherche l’origine des tirs qui résonnent, irréels, à mes oreilles. Lorsque mes yeux se sont habitués, j’en trouve enfin l’origine. Un jeu vidéo dont le propriétaire semble particulièrement mécontent, mais absorbé par son contenu. Il me faut me pencher un peu pour le distinguer vautré dans une position improbable qui explique peut-être ses piètres résultats. Mon mouvement est en tout cas suffisant pour attirer son attention quelques secondes.

Zeifel connaît mon prénom. Vu le geek et le matériel qui l’environne, je dirais qu’il connaît tout depuis mes premiers pas comme bambin auprès de mon père sur les tapis de la Mosquée de Bagdad. Par contre, il a dû rater une ligne dans mon CV, car je n’ai jamais été serveur dans un bar pour puceau boutonneux. Toujours assis sur ce qu’il faut bien appeler une table d’opération, je ne bouge pas d’un centimètre en réponse à sa demande. Je me masse légèrement la nuque en espérant que ce simple geste ne ravive ma mémoire.

- Où sont les autres ? Dis-je alors que je me demande ce qu’il a bien pu advenir des mercenaires qui m’ont récupéré dans l’Atlantique.

J’ajoute sur le même ton neutre :

- J’imagine que tu t’es appuyé sur tout ton bordel pour réussir la performance de m’extirper de Léthé, mais la dernière fois que je l’ai consulté, y’avais pas de rendez-vous dans mon agenda. Alors ça serait sympa de m’en dire un peu plus sur celui qui a voulu que j’atterrisse dans un entrepôt d’Eko city, Zeifel. Un demi-sourire. Comme je suis sympa,  je pourrais en échange t’apprendre à tirer, parce que là tu fais de la peine.

Le jeune geek ne te regarde pas pendant qu'il descend difficilement un groupe de terroristes, mais il éclate d'un petit rire crispé :
- Ahahahah...Suki (j'aime, en japanglais) ! T'es un marrant, toi !

Il appuie frénétiquement sur l'antiquité de jeu qui lui sert de manette, en criant :
- Mais prenez...Vos...Balles...Bakas (abrutis) !

Laissant planer un silence sûrement destiné à t'énerver, il finit par ajouter :
- Par ordre inverse :C'est sympa et vu ton âge, c'est pas étonnant. Mon "employeur" t'en dira plus et il m'a bien précisé de pas t'spoiler. Ton Agenda était...Pas bien chargé, donc je suppose qu'un simple merci suffira, et pour finir, oui, t'as vu juste, j'ai utilisé ces petits bijoux militaires pour arriver à faire le casse de la décennie. C'est pas tous les jours qu'on peut Hacker la prison la plus sécurisée du monde...

Il marque une pause en continuant d'améliorer son jeu de secondes en secondes, tu peux le voir même sans être toi-même un expert des consoles non VR. Il finit par reprendre avec un petit accent narquois :
- Bon bien sûr il m'a fallu un troyen. Enfin, une troyenne, pour être exact..., dit-il en te jetant un petit coup d'oeil pour observer ta réaction à cette métaphore sur un cheval de Troie informatique avant de retourner à son jeu : Mais à c'qu'on dit les Traqueurs sont des rapides, t'as dû trouver qui c'était...

Il finit par ajouter sur le "You Win" classique de ce genre d'antiquités :
- Ah...Et pour l'équipe d'extraction, ils sont repartis à leurs affaires...Pour l'instant. Mais on peut rappeler Red pour un massage, si tu veux...Chikushô (putain), qu'est-ce qu'elle est bonne cette Jou ("meuf", argot japonais) !

Il se retourne alors correctement dans le canapé, lance une autre partie en laissant le menu sur le choix du nombre de joueurs et s'allume un joint tiré d'un cendrier sale avant de se retourner avec un air un peu plus grave :
- Désolé pour ton pote. On avait pas vraiment prévu que tu serais accompagné, et tout s'est pas déroulé exactement comme prévu..., puis il ramasse une autre manette qu'il te tend en soufflant la fumée épaisse du joint : Il devrait plus tarder. Une partie ? Si t'as d'autres questions...

Tu remarques alors la marque des serveurs. Dan LTD. Corporation chinoise. Au départ rien d'étrange. Mais tandis que tu regardes le logo, tu te rappelles d'une enquête. Dan LTD...Une filiale soupçonnée de fournir du matériel informatique à des Dragons, voire d'être dirigée en secret par un conglomérat Draconique.

Tu fouilles dans ta mémoire, puis tu percutes d'un coup. Dakensthar. Un des Dragons les plus mystérieux après Méthétrace. Et un de ceux que vous soupçonniez d'être le plus "moderne", se servant de toutes les ressources de la technologie. Et d'après les rumeurs, le plus grand des Dragons "bleus".

Il me faut lutter contre l’envie d’emplafonner ce petit con arrogant. Un parce que ça ne se fait pas de démonter celui qui t’a sorti de prison, et deux parce que vu ce qu’il a été capable de faire lors de mon échappée de Léthé, il est plus que probable que je n’arrive même pas jusqu’à lui avant que les nanites qui envahissent mon corps ne me fassent tomber en syncope. Il est donc plus intéressant de capitaliser sur les maigres informations qu’il me donne.

- Johanson, dis-je dans un murmure à l’évocation de son cheval de Troie. Une onde de nostalgie me traverse à l’évocation de Daphnée / Johanson, de son parfum, de son sourire. Des souvenirs qui ne sont pas les miens, mais ceux d’un avatar destiné à divertir les masses. Quelle tristesse.

A l’évocation du décès de Molok, ma main se porte contre la poche où j’avais rangé la lettre à destination de sa fille, Faith. Une promesse que je tiendrai, quoi qu’il m’en coûte.

Je saisis la manette qui m’est tendue et remarque alors le logo sur les serveurs informatiques. Dan LTD. Les connexions commencent à se faire. Dakensthar. Pas très étonnant donc qu’un petit génie comme Zeiffel m’ait sorti de la prison spatiale. D’après les rumeurs, il s’agit typiquement des méthodes du Dragon bleu. Au moins j’en sais un peu plus sur celui qui se cache derrière tout ce bordel. Inutile de m’en ouvrir au gamin avec qui j’entame une partie de jeux vidéos. Même s’il en sait plus, ce dont je ne suis pas sûr, il n’en dira rien.

Sans grande surprise, Zeiffel me colle rapidement une branlée. Mon orgueil dirait que c’est parce que mon esprit est ailleurs, la vérité est parce que le gamin est juste bien plus rapide que moi avec une manette dans les mains.

- Tu sais, je veux pas te décevoir, mais je crois pas que Red soit le genre à oindre d’huile le corps d’un geek pour le masser. Plus le genre à aimer les gros calibres si tu veux mon avis.

Ok, c’est mesquin. Mais on se bat avec les armes que l’on a. J’en viens ensuite à une question que me taraude depuis qu’il a évoqué sa complice sur Léthé.

- Johanson, elle s’occupe des programmes d’immersion virtuel des prisonniers de Léthé, n’est-ce pas ? Comment ça marche ? Mais arrêtes de me m’allumer comme ça! Je m'esclame alors qu’une nouvelle rafale met à terre mon combattant dans le jeu vidéo. Je reprends ensuite, je veux dire est-ce que ces programmes ne tournent qu’autour d’une seul personne, ou est-ce que plusieurs personnes réelles peuvent être intégrées dans un même programme immersif ?

Ma question reste en suspens, tandis que le visage de Gina le zombie lors de notre fuite me revient en mémoire.

A ta remarque qu'il a l'air de juger mesquine, Zeifel se contente d'un petit rire sec légèrement aigu, et de te sourire presque amicalement. Il te fait alors tourner le joint, tout en continuant de triturer la manette tandis que tu lui poses la question qui te taraude. Il te jette un coup d'oeil rapide en coin puis son regard repart fixement sur le jeu. Mais au bout de quelques secondes de silence habité seulement par les coups de feu, il finit par te répondre :
- Les deux, théoriquement. Mais au départ, toi c'était  un onirogramme UNI..., dit-il en marquant une pause, s'apercevant probablement du côté hermétique de son jargon, il se reprend : NBN a développé une technique révolutionnaire il y a une dizaine d'années, permettant de digitaliser et de pénétrer le subconscient humain. Au début ça c'est pas bien vendu. Trop polémique. Public spécialisé dans les asiles et les thérapies psychiatriques. Puis ils ont eu l'idée de développer ça autrement. La possibilité de faire vivre des rêves guidés. C'était le début des Onirogrammes que tu connais sous le nom de simdream. Des moments qu'on veut revivre. Ou des situations inédites. Le rêve à la carte.

Il marque une pause en prenant le joint et en tirant dessus, rejetant un énorme nuage de fumée :
- Et ça a pas pris longtemps à cette corp spécialisée dans le spectacle de faire vivre les rêves d'acteurs, entraînés pour ça. Plus de larmes. Plus de tristesse. La capacité à rêver une série, ou un film, le tout en mode digital sans aucun danger. Les Snuffdreams ont suivi, évidemment. Et leur dernière innovation : le retraitement des...Il semble choisir ses mots : ...La reprogrammation et l'immersion totale à des fins de spectacle. Pour l'instant ils n'avaient accès qu'aux plus dangereux prisonniers de leur prison orbitale, mais le concept de simréalité a tout de suite fonctionné. "Venez parier sur les prisonniers, leur chance de rédemption, de survie, venez vivre avec eux leurs aventures palpitantes jusqu'à la redécouverte de leur identité. Combien passeront toutes les épreuves ? Combien survivront ? Lesquels...Un autre silence, puis il a un sourire en coin : Tu savais que t'avais une sacrée côte ici ? Tout le monde pariait sur toi, t'étais même le favori des classements. Pourtant, t'étais pas le mieux barré. Mais ta popularité, Koon...C'était quelque chose !

Il prend la manette et s'agite alors que tu prends le dessus sur lui, ton expérience et ton anticipation du combat commençant à concurrencer ses réflexes de geek :
- Merde, mec, t'es pas mauvais, en vrai !

Il finit par reprendre une posture normale, et continue :
- Vous êtiez seuls dans vos rêves digitaux programmés. En gros c'est sur le même principe qu'une simulation virtuelle. Mais avec le "réalisme" de le vraie vie. Pratiquement indifférencié, à quelques bugs près. La base est un programme, implanté dans les couches conscientes et subconscientes de ton cerveau. Il te regarde, et tu sens qu'il a compris pourquoi tu lui posais cette question : ...Mais pour certaines choses, le programme laisse ton subconscient choisir. Pour éviter qu'il lutte trop. Parce qu'évidemment, une partie de toi fait toujours la différence entre la réalité et ce monde. Alors ils l'endorment un peu en le laissant choisir certains lieu, situation, ou personas que tu rencontres. Ca permet de maintenir la stabilité du système...

Il t'observe encore d'un regard fuyant, ses yeux bleus presque électrique dans cette pénombre digitale constrastant avec son teint mat  et ses cheveux noirs en bataille :
- T'as vu des gens que tu connaissais déjà, c'est ça ? Comment elle s'appelait là-dedans...Daphnée ? Demande-t-il de façon rhétorique : Elle est pas ce que tu penses. J'imagine que ça doit être dur de savoir qui t'es en sortant de là, hein ?...C'était pas réel, mec. Tu es bien Karim. T'aurais sûrement préféré être ce gentil flic.Mais t'es bien ici. Et maintenant. C'est ça la réalité. Le reste, c'était une simulation. Elaborée et complexe. Mais une simulation. Et Daphnée Jones a jamais existé. C'est une projection visuelle que ton esprit a balancé dans la simulation, parce que c'était plus rassurant pour lui, d'une certaine manière tordue. Tu l'avais déjà vu. Elle s'occupait de toi. Et c'est sûrement pareil pour quelques autres personas. Certains sont des gens que tu as fréquenté longtemps, ou récemment. Des gens que tu as aimé, ou des gens que tu as détesté. Tout ce qui permettait à ton esprit de pas vriller total. De pas devenir totalement fou sans le savoir...Le cerveau trouve toujours un chemin..., finit-il sur un ton de vieux sage de la Montagne, avant de rire : Sauf si tu pètes un circuit et qu'tu crèves d'une rupture d'anévrisme...Un cas sur cinq, d'après leurs stats officielles. En vrai, j'dirais un cas sur trois. Donc tu t'en es bien sorti.

Il finit de se prendre une vraie branlée en criant presque tout en s'excitant sur le bout de plastique :
- Mais...Putain, c'est quoi c'délire ! Mais prends tes balllllleeeeeeeuhhhh !

Tu gagnes la partie. Il baisse la tête. Puis tourne une expression presque espiègle vers toi :
- Bien joué. T'as plutôt de bons réflexes pour un vieux...Ca va sûrement t'servir....T'as d'autres questions, ou je t'emmène le voir ? C'est presque l'heure..., finit-il en regardant une antique montre en argent à son poignet.

Pris au jeu, je m’escrime à essayer de redresser les performances de mon incarnation virtuelle dans le jeu que je partage avec « Zeifel », tout en écoutant avec attention ses explications sur les apparitions du réel dans le songe où Matthew était mon avatar. A dire vrai, j’ai du mal à suivre les digressions techniques du jeune homme, car tout cela me semble encore aujourd’hui trop réel pour être rabaissé à un simple spectacle où mon cerveau n’aurait eu à jouer qu’une maigre part. Pourtant, tout indique que ce fut bien le cas.

Je me ferme à cette idée. Peut-être pour ne pas vriller comme le dit si bien ce jeune homme.

Prise de position – Acquisition – Tir.

Ritournelle des stands de tirs qui ne quitte jamais vraiment celui qui a fréquenté ces endroits. Ritournelle qui m’a sauvé la vie à de nombreuses reprises. Qui l’a condamné aussi.

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Un vent frais souffle sur Eko city et de lourds nuages cachent le croissant de lune dans le ciel. Accroupi près d’un énorme Parka biglobosa, j’attends le feu vert de Parson. La résidence du Maire de Lagos est entourée d’un jardin aux mille senteurs. Les jardiniers font un travail exceptionnel. Un travail qui me fournit un couvert de tout premier ordre. Pénétrer la propriété s’est avéré relativement facile. Parson est doué, très doué. Un masque facial provisoire et le talent du Hacker nigérian avait suffit à tromper la sécurité de l’entrée des employés de maison. Astuce insuffisante néanmoins pour tenir face aux habituels occupants de la maison. Le deuxième temps de notre plan me demandait de patienter jusqu’à ce que les sécurités de la maison soient déjouées par le mercenaire Hacker.

Un grésillement dans l’oreillette, puis un lapidaire « C’est fait ».

Mon déguisement relégué dans le sac à dos que je laisse près du vénérable arbre, je me glisse furtivement d’un point à un autre du jardin jusqu’à arriver sous l’une des terrasses en hauteur de la villa. Un bond et mes mains s’accrochent au parapet. Mouvement de balancier, puis traction et je suis en mesure de me hisser sur la terrasse. D’ici, la vue sur la baie d’Eko city est imprenable. Splendeur et déchéance d'une ville corrompue jusqu'à la moelle. Déverrouiller la baie vitrée est un jeu d’enfant avec le travail d’annulation des systèmes de sécurité de Parson. J’entre dans un long couloir, le vent agite les rideaux. Le Maire Taïwo est en déplacement à Port Harcourt. Rebecca Hamilton, sa femme, est bien présente dans la villa. .
Américaine de 29 ans selon les fichiers que j’ai pu consulter. Son passé est un vaste trou noir, peu clair, avant sa venue il y a 10 ans au Nigéria. Prince Taïwo tombe immédiatement amoureux de la jeune fille, quitte sa femme et un mariage solide depuis vingt ans. Rebecca lui donne deux enfants, mais surtout, le maire Taïwo se lance alors dans une politique d’ouverture aux capitaux de la Corporation Metal Solid, qui remporte de nombreux marchés d’Eko City, jusqu’à devenir omnipotent dans l’économie de la ville. Ce changement radical de politique intrigue, jusqu’à amener le soupçon sur les motivations de Rebecca Hamilton.

Dossier W-56-308-Bkl chez les Traqueurs. Dossier dont j’ai été chargé et dont l’aboutissement de l’enquête se joue ce soir. Rebecca Hamilton est un Dragon argenté, que j'ai identifié comme étant Skendara. L’autorité des Traqueurs n’étant pas reconnue à Eko City, choix a été fait d’une élimination directe.

Ma main se glisse dans le holster sous mon aisselle gauche. Le pistolet Tomahawk-348 pèse étonnamment lourd dans ma main. La tension dans mes muscles sûrement. J’avance à pas de félins. Parson a normalement déjoué toutes les sécurités électroniques de la maison, mais qu’en est-il des maléfices draconiques. Cette magie dont nous ignorons tout.

Grésillement. « Quatrième porte à gauche. La cible est dans la salle de bain. »

Silencieux comme la mort que je vais donner ce soir, j’avance jusqu’à la destination indiquée par le génie nigérian. Ma main libre se pose sur la poignée et la fait doucement tourner. J’ouvre la porte. La lumière me fait plisser les yeux après les ténèbres de la nuit. Une entrée, qui donne sur une vaste salle de bain. Deux pas. Ma cible est là, vêtue d’un simple robe de nuit en soie. Elle est belle à se damner. Son regard croise le mien dans le miroir devant lequel elle finit de se démaquiller.

Je lève le Tomahawk. Elle a un mouvement de recul. Mon esprit est aseptisé, tout sentiment en est écarté. Mécanique.

Elle crie. Je presse la détente de l’arme.

Rebecca Hamilton s’effondre sur le carrelage blanc de la salle de bain. Le sang commence à se répandre de sa poitrine trouée des deux balles que je viens de tirer. Un sang rouge.

Son sang ne devrait pas être rouge.
Le rouge est celui des humains, pas celui des dragons.

Mon esprit s’ouvre aux chemins de la pensée. Je me suis trompé. Rebecca Hamilton est innocente.
J’ai tué une innocente.

Grésillement. « Les gardes rappliquent. Bouges-toi!!».

Je reste immobile. Incapable de me détacher de ses deux yeux verts sans vie qui paraissent pourtant me fixer depuis l’au-delà.

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Les cris de Zeifel ramènent ma conscience à la réalité. En mode automatique, mes réflexes ont fait le nécessaire pour priver le jeune hacker de sa victoire dans son jeu vidéo. Puisse-t-il ne jamais avoir à tuer des personnes au sang rouge.

Mécaniquement, je pose la manette en plastique sur le canapé au textile élimé et hoche la tête à sa dernière question.

- Allons-y, dis-je d’un ton neutre en me levant.

Il est temps de savoir pour quelle raison Dakensthar a extrait un Traqueur de sa peine de prison.

Zeifel fronce les sourcils comme s'il avait vu quelque chose chez toi, mais ne dis rien et se contente d'annoncer énigmatiquement :
- Très bien. Lèves toi, cow-boy, c'est l'heure de changer d'console...

Vous vous dirigez alors effectivement vers une console branchée nonchalamment par terre, avec un antique équipement de casque et de gants RV. Un sourire en coin apparaît sur son visage alors qu'il commence à t'équiper du casque :
- Eh ouais, Koon. On continue à l'ancienne. Tu vas dans l'Underground...

L'Underground. La face cachée de la Matrice. Partiellement à l'abri du contrôle des Technoblocs, en bonne partie grâce aux organisations criminelles. Mais pas moyen d'y faire une connexion par nanordi. L'architecture de de ce rézo a sciemment été conçue avec les anciens modèles de l'époque de la connexion cybernétique. Le temps de réponse plus lent, la qualité souvent mauvaise et pas en plein simsense. Mais la sécurité est assurée, puisqu'il est nettement plus compliqué de traquer ce genre de technologies, et qu'avec des gants et un casque il n'y a presque aucun risque de se faire court-circuiter la cervelle.

La sensation du casque te rappelle ton adolescence. Tu enfiles les lourds gants, tandis que la voix sarcastique de Zeifel t'annonce :
- Quand tu seras dedans, tu appuies sur le bouton rouge dans la ruelle. Ça ouvrira l'I/O d'accès privé. Pas d'inquiétude, tout est sous contrôle. Pas de détection possible. Et même si j'imagine que t'es pas assez con pour te dire ça, non, personne va te tuer. Déjà parce qu'avec ce matos faudrait créer une surtension de malade. Et parce que si il t'avait voulu mort, il se serait pas donné la peine de te libérer, vu le prix que je lui ai coûté...

Tout est en place. Tu sens l'écran de ta visière s'allumer, puis envahir ton champs de vision. Les gants s'activent eux aussi, te laissant des commandes "manuelles" pour piloter ton personnage virtuel. Puis les contrôles du casque te livrent les impressions auditives et visuelles approximatives à ce genre de système antique, te permettant du coup de conserver le reste de tes sens et le contrôle de ton corps. Tu sens qu'on te pousse sur le canapé. Bien assis, tu lances le programme, et tu es immergé dans la Matrice de l'Underground.

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L'image de synthèse bas de gamme d'une ruelle de jeu vidéo t'attend. Au milieu de la rue flotte un bouton rouge. Respectant les instructions, tu lèves tes gants et te fait avancer jusqu'à lui pour appuyer dessus. Un trou noir s'ouvre et avale ton persona dans des rais de lumières qui s'étirent. Ton construct virtuel est transporté dans le cyberespace parallèle de l'underground, et les 1 et les 0 qui le constituent se retrouvent presque instantanément dans une pièce sombre. Tu entends le son d'un gong. La pénombre dévoile alors le décor d'un Temple boudhiste aux textures 3D impeccables. Le gong se tait, et tu entends le bruit de grillons dans cette salle aux murs nus, décoré de statues et dont la seule source de luminosité vient des chandelles. Devant toi, une silhouette de dos et agenouillée se découpe. Elle se lève et se retourne. Sortant de la pénombre, les traits d'un vieux moine aveugle vêtu de safran et de rouge se dévoilent.



Il t'observe un instant, souriant énigmatiquement, puis s'incline légèrement :
- Bienvenu au Temple secret, petit scarabée...Tu peux m'appeler Maître Po..., dit-il en laissant planer un silence. Puis son sourire s'élargit dans une expression taquine : Pardonnez cette petite mascarade. J'ai toujours eu un faible pour toutes ces conneries en 2D...

Puis de but en blanc le vieux moine t'annonce en te fixant de ces yeux blanc-bleu :
- ...Et puis je trouve qu'il y a un certain parallèle entre ce Héros d'antique série et vous, mon cher Karim... Un autre silence, avant de reprendre sur un ton amène mais direct : J'espère que votre évasion n'a pas été trop...Éprouvante, même s'il y a eu quelques imprévus. Bien, pour être tout à fait franc mon cher Karim,  je ne vais pas insulter votre intelligence en vous expliquant que je suis votre bienfaiteur, ni même mon identité que vous devez soupçonner si vous êtes la moitié du traqueur que l'on m'a décrit. Non, je vais juste vous dire que j'ai besoin que vous me rendiez un service. Et comme je suis un moine honorable, en retour je vous en rendrais un aussi...

Il marque un temps d'arrêt, au point que tu te demandes si son persona n'a pas buggé. Mais sa voix à l'accent asiatique sûrement trafiquée s'élève à nouveau :
- Pour tout vous dire Ex-Agent Foster, j'ai besoin que vous m'aidiez à retrouver Samuel Taiwo-Hamilton et à désamorcer un complot qui se trame à Lagos. Le tout dans les prochaines vingt quatre heures, sans quoi ce jeune homme mourra, et la situation à Lagos deviendra...Littéralement explosive.

Ton poul tape comme un marteau dans tes tempes. W-56-308-Bkl .Le procès, il y a deux ans de ça. Le Maire Taiwo serre ses deux garçons. Samuel, alors âgé de treize ans. Et son frère cadet de dix ans, Idriss.

Quelque peu sonné par le souvenir des évènements qui m’ont conduit à assassiner Rebecca Hamilton, je suis mécaniquement le jeune hacker jusqu’à un autre de ses appareils qui sortent tout droit d’un holo rétro. L’antique réseau internet. Le Département des traqueur soupçonnait son utilisation de longue date par les Dragons, j’en ai maintenant un preuve concrète. Sauf que je ne suis plus dans le camps de ceux qui chassent. J’écoute les instructions que me donne Zeifel, et un sourire naît sur mes lèvres à sa dernière assertion.

* Mon âme est déjà morte, petit…* me dis-je sans trouver de raison valable à énoncer cela à voix haute. Qu’est-ce que ça peut foutre de toute façon ?

C’est donc en silence que j’enfile les gants et le casque, et une fois ainsi entre dans un monde informatique obsolète, un peu comme moi dans ce monde-ci. Rencontrer un ancien ennemi qui s’est transformé en sauveur, ici ou ailleurs, est-ce que ça change quelque chose ?

Pixels désunis avant de figer une autre réalité, un tissu binaire semblable tout d’abord à une scène de combat de rues, avant de me transporter dans un temple bouddhiste qui n‘est qu’un décorum que je sais avoir été choisi pour son aspect rassurant et apaisant. L’avatar de Dakensthar est lui aussi choisi sur les mêmes critères, n’en déplaise à l’ironie qu’il affiche vis-à-vis de cela. Je n’y prête guère d’attention, soucieux de savoir où le reptile veut en venir. J’écoute donc attentivement les mots de mon hôte, sans réellement attacher de l’importance à sa forme d’humour (?) qui vise à me mettre dans la situation du disciple. Sûr qu’il doit goûter cette situation avec toute l’arrogance connue des membres de son espèce.

Les formules de politesse et d’amadouement s’achèvent néanmoins sur une tournure que je n’attendais pas. A dire vrai, je pensais que ce vieux serpent m’enverrait aux basques de l’un de ses concurrents, puisque c’est ce que je sais faire de mieux. Aussi je tombe des nu, et par chance l’avatar informatique reste lui de marbre, devant l’objet de sa demande.

Samuel Taiwo-Hamilton.

Je revois le visage de l’adolescent lors du procès. Son regard de haine, mérité, à mon endroit entre les larmes qu’il retient péniblement. J’encaisse le coup, prends un temps pour me reprendre et analyser la situation.

Dakenshtar n’est pas un altruiste. Aucun des siens ne le sont. Quels sont ses intérêts ? Il masque beaucoup trop d’éléments dans sa demande.

La gorge sèche, je réponds en choisissant avec soins mes mots :

- Vous êtes en train de demander au meurtrier de sa mère de venir en aide à un jeune homme. Vous n’aviez vraiment personne d’autre à mettre sur cette situation… explosive ? Vous pensez vraiment que le fils de Madame Hamilton va gentiment suivre celui qui a assassiné sa mère ? Soit, vous me cachez des éléments, soit vous êtes bien optimiste sur le succès de votre plan.

Je marque une pause.

- Et je ne crois pas à la deuxième option. Vous voulez que j’intervienne, très bien. Mais ne pensez pas que je me sens redevable de la libération de Léthé. Je ne le ferai que si vous jouez cartes sur table. Dans le cas contraire, vous pouvez bien faire ce que vous voulez de moi, ça ne sera guère plus terrible que l’endroit d’où vous m’avez extrait.

Le regard bleu-blanc aveugle du Moine t'observe pendant de longues secondes. Evalue-t-il ta réponse ?

Au bout d'un temps qui te semble interminable, sa voix aux accents numériques résonne à tes oreilles :
- Très bien, Karim. Je vais vous montrer mes cartes...

Le décor change soudain, et tu te retrouve dans une pièce résolument plus moderne et au style asiatique indéniable. Au travers d'une baie vitrée immense tu peux voir un pont et une Arcologie. Le lieu t'es vaguement familier sans que tu puisses le resituer. Derrière un bureau noir aux lignes épurées est assis un Cadre corporatiste Chinois à la silhouette mince et élégamment habillée. Il joint les doigts de ses mains et ses yeux aux pupilles bleus électriques t'observent avec le même sourire que le Moine quelques instants auparavant. Il appuie sur un pupitre virtuel, et le pan de mur derrière lui affiche une vidéo de sécurité :
- Croyez-vous au Destin, Agent Foster ?...Si vous y croyez, voici une histoire intéressante. Dans mon plan originel, vous n’étiez pas censé atterrir dans cette région du globe...

La vidéo montre une rue d'un quartier assez aisé de ce qu'il te semble être Lagos. Une limousine noire stoppe au feu rouge.
- Ce sont vos actions, et certains imprévus balistiques qui ont changé votre Cap et votre destin pour vous amener ici, à Eko City. La Cité qui a signé la fin de votre carrière pour celle d'un vulgaire criminel, vous enfermant dans une prison et un rôle dont vous ne comptiez -et ne vouliez- pas sortir. En tout cas, pas en vie, si mes déductions sont exactes. La culpabilité est un sentiment puissant, n'est-ce pas Karim ?

Un van gris s'arrête à côté de la limousine. La porte latérale s'ouvre, et un homme cagoulé en sort. Armé d'un fusil d'assaut. La portière conducteur de la Limousine s'ouvre, révélant de la fumée à l'intérieur, et le chauffeur qui en descend est équipé d'un masque à gaz. Il ne te faut plus qu'un coup d'oeil rapide au reste de la vidéo pour comprendre que le garçon qu'ils extraient de la limousine est Samuel, et que le Chauffeur et ses comparses du Van viennent de le kidnapper en pleine journée,  sûrement sur le chemin de retour de son école vu le sac qu'il porte sur le dos et l'heure indiquée. Le seul indice que tu repères en dehors d'une plaque sûrement fausse, c'est le tatouage que tu vois passé une micro seconde sur l'avant-bras mal camouflé du chauffeur. Mais il faudrait zoomer pour voir exactement de quoi il s'agit.

La voix du Cadre résonne dans le bureau tandis que le mur virtuel change d'image pour afficher le tatouage, un Dragon Noir stylisé aux lignes moyen-orientale :
- Cette vidéo a été prise il y a deux jours. Et le tatouage que vous avez sûrement déjà repéré est celui d'un groupuscule Terroriste qui se font appelés pompeusement les Fils d'Hexen.

Hexen. Le Dragon Noir. Le fléau du moyen-orient. D'après les enquêtes de ton ancienne agence, il dirigerait de nombreux groupes terroristes pro-draconiques et serait à l'origine de plus de la moitié des grands attentats en Afrique et au moyen orient commis dans la dernière décade. Mais difficile à dire, car Hexen est plus une Légende urbaine pour l'Agence qu'une cible tangible. Certaine théories affirment d'ailleurs qu'il aurait été monté de toute pièce par les médias, les gouvernements ou des Corporations à des fins géopolitiques.
- Oui, Hexen. Et pour mettre fin à ce suspense insoutenable, Ex-Agent Foster, oui, il existe bel et bien. Voyez-vous...C'est...Mon frère.

Il marque une pause en t'observant, alors que la luminosité derrière lui change encore, montrant des rapports de l'Agence sur Hexen :
- ...Et j'avoue ne pas le porter dans mon cœur. Je le surveille de près pour éviter qu'il n'aille trop loin dans son Agenda terroriste, et nous jouons depuis bien des années à un jeu d'échec sans que ni l'un ni l'autre ne prenne le dessus...Et oui, Karim. Contrairement à ce que pensent certains sur nous, nous ne sommes pas une grande famille unie aux desseins concertés visant la domination de votre monde. En fait, pour la majeure partie d'entre nous, nos objectifs différent et quelquefois même s'opposent...

Le rapport mentionne des camps d'entraînement au moyen-orient et en Afrique, des caches d'armes découvertes, des attentats avortés par des traqueurs. Puis le contenu change pour afficher un autre rapport, plus récent, concernant le Maire Taiwo. D'après ce que tu lis, ils le surveillaient depuis un certain temps et se sont aperçu du kidnapping de son fils. La piste terroriste est vite découverte, et un enregistrement vocal suit en pièce jointe :

- Bonsoir, Maire Taiwo. Nous sommes les Fils d'Hexen. Et nous détenons votre fils Samuel. Nous ne lui ferons rien, tant que vous ferez tout ce que nous vous demanderons.
Une voix trafiquée. Grand Silence, puis la voix du Maire. Inquiet, en colère.
- Qu'est-ce que vous voulez, bande d'enfoirés !...Rendez moi mon fils ! Vous ne savez pas à qui vous vous en pren...
- Nous savons très bien qui vous êtes. Nous vous rendrons votre fils dès que vous nous aurez fourni deux bidons de 5 litres de GX-13.
Nouveau silence.
- Mais de quoi vous parlez ? Vous êtes complètement fous ! Je ne sais même pas ce que...
- ...Ne mentez pas, Monsieur le Maire. Nous connaissons vos relations avec les Seigneurs de guerres et les membres officieux du "Conseil municipal". Vous savez exactement comment et où vous procurer le GX-13. Alors faites le. Rappelez au numéro qui va vous être envoyé lorsque vous aurez la cargaison. Vous avez trois jours. Passez ce délai, nous tuerons votre fils.
- Je veux des garanties, espèce de monstre ! Donnez moi des garanties ! Et Passez-moi mon fils ! S'il vous plaît, passez moi mon Fils !
*CLIC*

La voix électronique du Dragon résonne dans le bureau virtuel :
- Savez-vous ce qu'est le GX-13, Karim ?..C'est une arme Biotechnologique mise au point par des Corporations, mais dont l'utilisation a finalement été avortée car rendue illégale par le Traité de 2060 sur l'usage des armes de destruction de masse. Ce gaz biochimique est capable d'éradiquer une forme de vie en moins de quelques minutes, ne laissant derrière lui qu'une mare liquide. Avec 10 litres de ce composé et un moyen de le diffuser en aérosol ou dans une bombe, il y a de quoi éliminer tout le centre ville de Lagos avant qu'il ne devienne inopérant, voire plus selon les courants aériens. Le tout en à peine une heure...

Il se tait, et ses doigts appuient sur un pupitre virtuel pour te montrer les essais cliniques du gaz :
- Et le Maire ne va pas tarder à le leur livrer. Votre ancienne agence est sur le coup, et va sûrement intervenir au moment de l'échange, en faisant un carnage qui tuera sûrement Samuel, ou pire si ils ratent leur coup. Ils restent convaincu que ce sont bien les Fils d'Hexen qui sont derrière toute cette histoire. Mais d'après mes renseignements, ce n'est pas le cas.

La vidéo d'une femme en train de littéralement se liquéfier de l'intérieur est remplacée par un autre rapport de l'Agence. Tu te dis que les moyens d'espionnage de ce Dragon sont totalement effarants, et que vos soupçons sur leur intégration dans toutes les strates de la société humaine sont plus que fondés :
- Ils ont envoyé quelqu'un sur place pour "régler le problème rapidement". Maya Zoltarev, dit-il en affichant son visage.

Tu as un frisson glacé. Maya "Carnage" Zoltarev. Tu la connais bien, malheureusement. Une nettoyeuse de nids. Le genre d'arme psychopathe que l'Agence aime produire, du moins tant qu'elle peut les contrôler. Et Maya est une tueuse loyale et appliquée. C'est un vrai nanoborg, avec des résultats qui sans fausse modestie la place juste en dessous de toi dans le top 5 des Traqueurs.

Tout s'éteint, et celui que tu penses être Dakhenstar te sourit vaguement :
- Le Destin, mon cher Karim. Je ne comptais pas faire appel à vos services ici. Mais il semblerait que tout soit lié, et que par un extraordinaire concours de circonstances, vous soyez exactement là où vous devez être. Vous voulez connaître la raison pour laquelle je vous ai sorti de l'Oubli ? ..Si je vous disais, Ex-Agent Foster, que vous avez été dupé tout ce temps ? Si je vous disais que quelqu'un vous a poussé à commettre le meurtre que vous vous reprochez tant, en vous fournissant de faux renseignements ? Si je vous disais, Karim, que tout ceci fait partie d'un complot bien plus complexe, et dont vous avez été le bouc-émissaire ?

Il marque cette fois une grande pause pour te laisser intégrer tout ça. Puis il finit en plissant ses yeux aux teintes de foudres :
- Alors voilà ma proposition. Choisissez rapidement une équipe avec Zeifel. Trouvez Samuel et les réels responsables de cet attentat avant qu'ils ne mettent leur plan à exécution. Si vous faites cela, non seulement vous aurez peut-être fait un pas vers votre rédemption, mais je partagerai avec vous les pistes que j'ai sur le meurtre de la femme du Maire et la machination dont vous avez été une des victime afin que vous puissiez être innocenté.

Déterminé à ne pas me laisser forcer la main, j’adopte une attitude attentive et placide pour écouter le discours du Dragon. J’ai un léger tremblement à l’évocation par ce dernier du sentiment de culpabilité qui étreint constamment mon esprit. Suis-je si aisément déchiffrable ? Oui, je dois l’être. Je ne suis plus le même depuis le meurtre de Rebecca Hamilton. Du Traqueur inéluctable ne reste plus que les cendres d’un homme qui a trahi tout ce pourquoi il avait donné sa vie. Un homme brisé, rongé par sa culpabilité.

J’essaie d’évacuer ces pensées pour me concentrer sur la reconstitution présentée des évènements. Autant pour me les approprier que pour y trouver le moindre indice d’une supercherie. Un pincement au cœur devant la silhouette de Samuel, victime collatérale des desseins d’un Dragon après l’avoir été de ceux qui les chassent. Je note mentalement le tatouage sur la main d’un des kidnappeurs, mais l’explication de celui-ci arrive immédiatement.

Hexen. Une légende urbaine parmi les traqueurs. Je n’ai jamais vraiment su quelle était la part de vérité dans l’existence du Dragon qui met à feu et à sang le Moyen-Orient. C’est donc avec grand intérêt que je prête attention aux rapports de l’Agence sur celui-ci. Le fait que ces rapports soient dans les mains de Dakensthar est particulièrement troublant, mais il n’est pas encore temps de creuser cet aspect-là. La simple performance de Zeiffel pour me libérer suffit à comprendre l’étendue des talents des gens qui travaillent pour le dragon. L’enregistrement pointe ensuite du doigt quel est l’enjeu derrière ce kidnapping. Une vie contre celle de milliers. J’écoute patiemment le Dragon sur le GX-13, même si je connais parfaitement le danger qu’il représente. L’Agence a également bien pris en compte la menace d’un tel deal et a décidé de tout raser. La spécialité de Zoltarev. J’ai travaillé une fois avec elle, et disons que nous n’avions pas le même point de vue sur la façon de mettre un terme à une menace. Les dommages collatéraux n’ont jamais été un facteur pris en compte dans ses méthodes, seul le résultat prime. Zoltarev est à elle seule un baril de GX-13 si on veut résumer.

La fin de la conversation suit néanmoins une route que je n’attendais pas… Un complot qui m’aurait amené à tuer Rebecca Hamilton, qui m’aurait poussé à la faute. L’idée est tellement séduisante, rassurante. La faute ne serait pas entièrement mienne. Il serait tellement confortable de se glisser dans ce paradigme.

*Mais c’est toi qui a appuyé sur la gâchette*

Tout cela ressemble tellement à un marchandage de Dragon. Dakensthar qui se positionne en bienfaiteur de l’humanité, l’idée serait amusante si elle n’était pas si grossière. Lorsque l’exposé arrive à son terme, je sens comme un poids pesé sur ma conscience. Tous mes réflexes m’alertent sur ce qui ressemble fort à une situation qui ne servira au final qu’un duel de dragons. Never deal with a dragon. Mais ai-je le choix ? Ne dois-je pas à Rebecca Hamilton de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour sauver son fils, à défaut d’avoir pu l’épargner elle ?

Même par voie immatérielle, j’ai l’impression d’avoir la gorge sèche quand je réponds au dragon.

- Le van, l’a-t-on retrouvé ? Quels sont les quartiers de Lagos connus pour abriter les partisans de votre… frère ? Zoltarev est-elle déjà en ville ?

Inutile de perdre du temps à valider ou non un accord. Samuel Taiwo-Hamilton ne peut-être une victime de plus des machinations qui ont mené au décès de sa mère. Peu importe la véracité des informations que Dakensthar pourrait bien avoir à me fournir. Peu importe que tout cela ne puisse être qu’un piège savamment orchestré dont Samuel pourrait même être le complice.

Si il existe une (mal)chance que Samuel ne soit qu’une victime collatérale, je dois à sa mère de tout faire pour l’en sortir. Et qu’enfin les yeux verts puissent se fermer.

Un fin sourire passe une seconde sur le visage virtuel du corporatiste. Il se lève pour observer la vue de la baie vitrée :
- Zeleif répondra à toutes vos questions et vous donnera les rapports et toutes les données pour votre enquête.
Il se retourne vers toi avec un air de profond respect, inclinant la tête :
- Merci de me rendre ce service, même si je me dou...

Mais sa phrase ne se finit pas. On vient de t'arracher sans ménagement le casque virtuel, créant un trouble de vertige que tu sais passager. Tes sens retrouvent leur place, et tu entends des coups de feu. Le visage un peu déformé de Zeifel te crie quelque chose en te tendant une puce :
- ...Ils nou.. o... trouvé ! Prends ça et barres toi par la trappe ! Crie-t-il comme un damné en te montrant une trappe au fond de la salle tout en sortant du canapé un Lance-grenade MGL et un masque à gaz.

Devant ta probable indécision première, les yeux presque aussi bleus que Dakhenstar de Zeifel te fusillent :
- Mais bordel, casses-toi ! T'inquiètes pas pour nous, on les gère ! Dit-il en balançant une première fumigène, que tu supposes incapacitante, sur vos assaillants presque invisibles de l'autre côté du Hangar. Dans le canapé ouvert, tu vois d'autres armes. Au loin, au moins une dizaine de tireurs au jugé, en formation en V pour une incursion en milieu hostile. Entraînement Militaire, opérations spéciales ? Difficile à dire dans l'instant. De l'autre côté, les "hommes" de Zeifel ne s'en laissent pas compter. Des vétérans des rues à leur façon en apparence plus anarchique de procéder, mais tout aussi efficace. Malgré tout ils tombent comme des mouches. Moins bon entraînement et un armement peu moins lourd. Ils risquent de se faire décimer d'ici peu.

Ton regard passe de la trappe à Zeifel qui a un sourire que tu as déjà vu sur le visage d'autres soldats aujourd'hui morts. Le sourire du dernier combat tandis qu'il lance une deuxième grenade, incendiaire.

Les derniers mots de Dakhenstar se perde dans la confusion du mélange entre réalité matérielle et réalité virtuelle. Déboussolé, j’ai le plus grand mal à reconstituer les traits du visage de Zeiffel tandis que ce dernier me beugle dessus.

Bruit des balles tirées en rafale.

Cris d’hommes surexcités par le combat.

Tout cela m’est familier. Trop familier. Le refuge de Zeiffel est pris d’assaut. Mes réflexes prennent le pas sur mon esprit. Je saisis le masque à gaz et l’ajuste à mon visage, alors que mon hôte d’infortune balance une grenade incapacitante.

Respiration rapide du fait du port du masque. Evaluation de la situation. Les assaillants utilisent des techniques militaires. J’essaie de photographier mentalement les tenues, les armes, tout ce qui pourrait me donner plus tard une indication sur la faction qui vient d’attaquer. J’hoche la tête à l’intention de Zeiffel sur sa dernière injonction. Je ne sais pas ce que lui a promis le Dragon pour son sacrifice, mais j’imagine que cela doit ressembler à un téléchargement sous forme d’IA dans l’espace virtuel.

Ma main se pose sur la crosse d’un MR93 / Auto 9 au milieu des armes qui jonchent le canapé. Un pistolet mitrailleur aussi élégant que mortel. Alors que mon hôte semble résolu à faire table rase de cet abri et lance la grenade incendiaire, je bondis derrière la canapé, effectue plusieurs enjambées pour prendre de la vitesse avant de me jeter en direction de la trappe et me laisser glisser au sol jusqu’à elle. Le trou m’avale alors que l’explosion retentit. Je me relève aussitôt et verrouille la trappe sur moi, alors que les premiers effets du souffle à la chaleur suffocante touchent mon visage. Juste à temps.

L’obscurité est péniblement repoussée par la lueur des lampes de secours. Mes bottes trempent dans une eau croupie et il me faut me voûter quelque peu pour éviter que mes cheveux ne nettoient le plafond crasseux de ce qui ressemble fort à un tunnel d’évacuation. Je préfère valider cette hypothèse sans retirer mon masque à gaz pour vérifier l’odeur nauséabonde qui va avec ce genre d’endroit.

Sans autre choix, j’avance dans l’une des deux directions offertes, à l’inverse de la dernière position connue des forces qui ont attaqué le repaire de Zeiffel. Nul doute qu’un périmètre de sécurité a dû être établi, et qu’ils ne vont pas tarder à envahir cette coursive.

Premier objectif, m’éloigner le plus possible d’ici.

Deuxième objectif, reprendre contact avec le gang de Papa Bam. Il va me falloir des pros pour arracher Samuel aux griffes des agents d’Hexen.

Pas pour ma propre rédemption, mais parce qu’une dette se rembourse. Et j’ai une dette envers Rebecca Hamilton.

La respiration courte dans ton masque à gaz, les clapotis de tes bottes parcourent un dédale de boyaux nauséabonds tandis que ta main reste crispée sur ton MR93 comme sur un gri-gri du marché d'Oshodi Isolo. Un regard à l'interface RA de ton NanOS (NANo Operator System) t'indique que tu n'as aucun réseau, ce qui n'est pas très étonnant. Tu te laisses donc guider par ton intuition en prenant le boyau qui te semble aller dans la direction la plus opposée au carnage auquel tu viens d'échapper.

Tandis que tu t'enfonces dans le tunnel de gauche, des gouttes de sueurs te coulent le long de l'échine, et ta conscience bascule. Image d'un tunnel en monochrome vert et noir comme en vision nocturne. 81-A.



Flash
Une citation de l'Enfer de Dante résonne dans ta mémoire comme une mauvaise tirade sortie d'une série d'Horreur : "Vous qui entrez, abandonnez toute espérance".
Flash

Ton instinct de flic te guide dans les boyaux. Bruit d'aération poussif dans un dédale de métal titanesque.Une mélopée qui t'attire. Le chant d'une sirène dans ton cortex. Tu avances dans les entrailles de la terre du complexe que les mercenaires de ton père ont détruit. Non, ce...Ce n'est pas ça. Ton regard se plisse comme pour chercher quelque chose. Confusion. Tes mains tremblent. Tu les regardes un moment, mais tu ne les reconnais pas. Angoisse sourde. Ces mains inconnues deviennent moites. Sueurs froides.

Un Maelström d'images défilent dans ta tête.

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Flash
"On est pas les méchants...Même si tout porte à le croire. Et tu es la clé de toute cette énigme. Tu peux changer les choses. Tu en as le pouvoir. Sinon tu tourneras en rond, encore et encore, à répéter toujours les mêmes erreurs."
Tic-Tac...
"Que vas-tu faire, Matthew Dane ? Céder au Chaos, le rejeter, l'ignorer ?..."
Tic...Tac...
- "Tu crois tout savoir sur tout, hein, superflic ?...Tu commences à douter ? C'est bien. Parce que toute cette histoire est très très loin de ta catégorie mon grand...Alors commences à creuser. Parce que si c'est pas encore le cas, ils seront bientôt là. Et là tu comprendras que t'as tout faux, cowboy. L'ennemi est pas toujours celui qu'on croit, alors ouvres les yeux, Junior. Et maintenant, Showtime..".
Tic-Tac
Tu regardes ce décor apocalyptique, avec comme un arrêt sur image. Thomas tenant ton père par les épaules. L'ambulance. Les sacs les gyros. Les voitures du LAPD. Le camion des pompiers. Festival de lumières bleues, rouges et orange. Les flammes de l'enfer qui défient les trombes d'eau et les combattants du feu. Et au fond de ton esprit, il te semble entendre quelque chose. Une ritournelle ?
Ton esprit cède.
Flash

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Tu sursautes. Tu trembles comme une feuille, l'esprit plus engourdi qu'après une séance d'entraînement d'arts martiaux avec Kato. Ton cerveau explose en bulles. Non. Non, tu n'es pas Matthew Dane...Soudain tu as l'impression de tomber d'un immeuble dans une longue chute existentielle.

Qui es tu ?

La tempête s'agite dans ton crâne, mais dans un réflexe de survie mental tu t'accroches à tout ce que tu peux. Ton père qui prie. Karim. Karim Foster. matricule 277 89A, Division Traqueur. 277 89A...277 89A...

Ta vision troublée retrouve peu à peu la réalité. Tu es Karim Foster. Ancien traqueur. Maintenant traqué. Le meurtre. Ton pêché devient l'ancre de ce que tu es. De qui tu es. Ta conscience refait surface tandis que Matthew s'éloigne comme le souvenir d'un passé lointain.

Tu regardes autour de toi. Tu es à genou. Tu as enlevé ton masque à gaz.. Tu aperçois une bouche d'égout au dessus de toi. Est-elle vraiment là ? Tu calmes les tremblements de tes membres et coupe l'alarme du diagnostic de ton Nanordi. Ton pouls descend, et l'alerte de crise d'angoisse affichée en rouge te conseillant l'injection de 2ml de diazépam disparait tandis que tout rentre lentement dans l'ordre dans ta conscience fracturée.

Ta main se resserre sur le pistolet resté miraculeusement dans ta main, et tu retrouves tes esprits. Zeifel. Dakhenstar. Taiwo.Samuel.

Tu te relèves péniblement et commences à grimper à l'échelle, ouvrant la lourde bouche d’égout. L'air étouffant fait place à un courant chaud aux effluves typiques des rues de Lagos avec des fumées qui s'échappent des cheminées d'une usine environnante. Tu découvres une rue en plein dans une zone industrielle. Peut-être la zone industrielle du port d'Apapa, ou Ikeja et ses usines chimiques, difficile à dire.

Tu en es là de tes élucubrations au milieu de ta semi confusion mentale lorsqu'une voix s'élève derrière toi :
- Hey, le rat, par ici !

Tu aperçois une silhouette derrière toi dans la pénombre de ce qui semble être la fin de journée, le soleil se couchant derrière la façade d'une usine. Tu te hisses en dehors de ta sortie de secours tandis que la silhouette sort de l'ombre. Un asiate aux dreadlocks fournies habillé d'une tenue de biker. Son visage aux traits marqués abritant un regard vif te décoche un large sourire :
- How Na ? Bonne promenade ? Dit-il en te lançant un casque de moto. Il tourne les talons et va jusqu'à une moto noire que tu n'avais pas repéré. Il grimpe dessus et avant de mettre son casque t'observe alors que tu as l'air un peu hagard :
- Alors, Tu montes ou tu veux attendre qu'ils nous trouvent ?

Il finit par comprendre tes réticences et lèves les yeux au ciel en levant les bras, découvrant sous son cuir un pistolet-mitrailleur :
- C'est Zeifel qui m'a dit de venir. Je dois t'emmener jusqu'à une planque sûre. Papa Bam et sa clique te rejoignent là-bas. Na so ?

Tu finis donc par monter derrière lui, ton poids jouant lourdement sur la suspension tandis que le moteur de cette Kawa street 2050 modifiée rugit. Vous démarrez en trombe dans la chaleur moite de la ruche.